En général, les maisons que l'on récupère dans le but de les reconstruire ailleurs n'ont l'air de rien, ayant souvent été laissées à l'abandon pendant plusieurs années. Si la Maison Allie avait été mise en vente dans l'état où elle se trouvait avant que Michel Martel ne l'acquière, jamais n'aurions-nous su prendre la mesure de son potentiel. Les maisons à démonter sont bien souvent offertes gratuitement à quiconque voudra bien en débarrasser le propriétaire qui, généralement, souhaite construire au même endroit une maison d'un autre style ou un immeuble à condos. Plutôt que de payer pour leur démolition, ils les cèdent pour trois fois rien à un homme qui aura la patience de la démonter, pièce par pièce. Si on a bien du temps devant soi, on peut bien sûr accomplir la tâche soi-même : les petites annonces fourmillent d'offres du genre! Comme ce n'était pas notre cas (la moitié du congé parental de Georges y aurait passé, si ce n'est pas plus!), nous avons donc magasiné une maison ayant été préalablement curetée, démontée et numérotée.
Le curetage consiste à épurer une maison de tous ses matériaux qui ne sont pas sains ou qui n'ont que très peu de valeur. Le plus souvent, on ne conservera que les matériaux d'origine. Les nombreuses couches de matériaux qui se sont superposées au fil du temps, témoignant avec éloquence des modes successives, se retrouveront donc à la poubelle. Revêtements de murs et de toiture divers, planchers construits les uns sur les autres, mousse isolante, accessoires de plomberie et tuyauterie remplissent en peu de temps une benne à déchet!
Généralement, seules les parties suivantes seront récupérées : le carré de pièce, la charpente du toit, les planches de toit et des pignons, le plancher de madriers du rez-de-chaussée et de l'étage. Avec de la chance, le lot de pièces récupérées comprendra quelques extras : portes et fenêtres traditionnelles, revêtement extérieur ou intérieur en planches verticales, escaliers, plafond à caissons, etc. Tout dépend évidemment de l'état de la maison et de ses diverses composantes. Il arrive également qu'une portion seulement de ces parties puisse être sauvée. Dans notre cas, par exemple, seulement 75% du plancher d'origine a pu être récupéré.
Afin d'en faciliter l'assemblage futur, les pièces sont ensuite numérotées une à une de manière à former un jeu de blocs géant. Les trois photos qui suivent illustrent le système de numérotation de Michel qui fournit également un plan aux acquéreurs de ses maisons.
Les très nombreuses pièces de la maison démontée sont ensuite regroupées en paquets. On compte par exemple environ 200 pièces pour le toit uniquement, 200 pièces supplémentaires pour le plancher. Ce n'est donc pas loin d'un casse-tête mille morceaux qui nous attend! Pour vous donner une idée de la quantité de bois que l'ensemble représente, sachez que ce sont deux «flatbeds» de 53 pieds qui viendront nous livrer les pièces de puzzle dans deux semaines.
Au Québec, quelques spécialistes se consacrent essentiellement au démontage et au remontage de maisons québécoises traditionnelles. Lorsque nous avons magasiné notre charpente, l'été dernier, nous en avons contacté cinq et entendu parler d'au moins un sixième. Trois d'entre eux ont un site officiel, tandis que les autres s'affichent principalement dans les petites annonces.
À ces spécialistes s'ajoutent plusieurs particuliers qui, flairant la bonne affaire, se lancent dans cette aventure pour la première fois. Quand nous avons magasiné la nôtre, il y avait sur le marché une vingtaine de maisons à vendre. Seules trois ou quatre d'entre elles, cependant, correspondaient à nos critères de grandeur et de prix. La Maison Allie était un peu plus onéreuse que d'autres charpentes de taille similaire auxquelles nous nous étions intéressés mais elle était tellement belle! Il était par ailleurs très important pour nous d'être en confiance et c'est ce que nous offrait Michel qui œuvre dans le domaine depuis une trentaine d'années. Son site affiche du reste plus de 300 photos ayant été prises durant le démontage de la maison, nous permettant ainsi de savoir très exactement ce que l'on achète car il est évidemment impossible, dans ce genre de transaction, de visiter la maison avant de s'en porter acquéreurs. Nous n'étions pas encore certains à ce moment de vouloir faire appel à ses services pour le remontage de la charpente mais cette possibilité nous intéressait grandement. Ce ne sont pas tous les vendeurs qui se proposent ainsi. L'un d'entre eux nous a même répondu que nous ne pourrions l'engager qu'à la condition Michel soit présent sur le chantier! Après avoir eu avec ce dernier plusieurs conversations, au téléphone et en personne, chez lui à Bécancour, nous étions convaincus! Il faut dire que la magnifique maison de Michel est un excellent argument de vente en soi.
La Maison Allie a été démontée en 2012 et c'est en septembre 2013 que nous l'avons achetée, soit près de dix mois avant le début des travaux. Il était impératif, à nos yeux, de pouvoir l'acheter si tôt! Nous voulions en effet concevoir nos plans en fonction d'une charpente en particulier afin de pouvoir tenir compte, lors du dessin de nos plans, de l'emplacement de ses ouvertures, des détails qu'elle invitait à mettre en valeur et des défis avec lesquels elle commandait de composer. C'était un immense pari que d'acheter une charpente de cette valeur (un peu moins de 30 000$) avant même de savoir si nous aurions un prêt de la banque! Il est en effet très difficile de revendre un tel bien, même à perte. Les acheteurs ne courent pas les rues! Pendant nos démarches, nous avons pris contact avec deux types qui essayaient de revendre la leur depuis longtemps, sans succès. Un an plus tard, elles sont d'ailleurs encore à vendre toutes les deux. Nous n'aurions cependant pas pu procéder autrement.
Pour quelles raisons avons-nous souhaité récupérer une maison ancestrale? Pour l'esthétique, bien sûr! Georges et moi aimons la beauté de ces maisons de bois dont la patine ne peut être imitée et que seul le temps parvient à créer. Pour le geste environnemental également. Nous adorions l'idée de donner une seconde vie à des matériaux qui se seraient autrement ramassés au dépotoir. Nous avons d'ailleurs l'intention de sauver bien d'autres matériaux au gré de nos trouvailles dans les petites annonces, chez les antiquaires et sur les trottoirs : baignoire, éviers, robinetterie, grilles de plancher, luminaires, etc. Ce que l'on ne réussira pas à trouver dans l'usagé sera acheté neuf. Pour quiconque a un amour des vieilles maisons, enfin, il y à là une occasion de sauver l'une d'entre elles. Car ces maisons ont une âme; des gens y sont nés, d'autres y sont morts. Pour moi, une maison n'est pas que le décor dans lesquelles nos vies se jouent, elles ont sur ces dernières une influence. Elles font partie de la famille.
On me demande souvient si cette pratique est économique? Je répondrais : on ne le fait pas pour économiser. La récupération d'une maison ancestrale coûtera en moyenne le même prix qu'une maison neuve... et nécessitera beaucoup plus de trouble! Évidemment, le prix de l'aventure sera déterminé par la manière dont on souhaitera habiller la charpente une fois remontée. Un puriste dépensera par exemple une petite fortune pour faire reproduire des fenêtres ancestrales par un artisan! Georges et moi n'avons pas abordé notre projet dans cet angle. Nous souhaitons avoir le sentiment d'habiter une maison d'un autre temps sans pour autant la figer dans le passé. Nous nous sommes donc permis plusieurs anachronismes afin d'améliorer son confort, de nous simplifier la vie ou tout simplement d'économiser.
Le remontage de maisons ancestrales en pièce sur pièce est une pratique marginale, certes, mais qui gagne cependant en notoriété. Depuis que nous nous y intéressons, nous avons vu passer quelques articles consacrés à ce sujet dans la presse. Selon Michel Martel, il ne reste plus que quelques-unes de ces maisons à sauver au Québec : dans quelques années, il sera très difficile d'en dénicher.
Qui sait si la Maison Allie aura un jour une troisième vie ailleurs, dans une autre région du Québec? C'est dans cette perspective que Michel nous a invité à la reconstruire. Georges n'y croit pas trop mais moi si.
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Afin de vous aider à comprendre le genre de travaux qui nous attendent ainsi qu'à visualiser à quoi ressemblera notre maison une fois terminée, je vous ferai très bientôt faire une visite guidée en images de la Maison Allie.
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