vendredi 4 juillet 2014

La saga du prêt hypothécaire

Je vous préviens d'emblée : cette histoire sera longue! Impossible de faire autrement tant elle comporte de péripéties... et de précieux conseils à l'usage des autoconstructeurs du futur!

Obtenir un prêt hypothécaire est en général assez facile. Obtenir un prêt dans le cadre d’une autoconstruction l’est cependant un peu moins…! Dans notre cas, les rebondissements ont été tellement nombreux que nous avons presque fini par en perdre la tête. Contre toute attente, cependant, la nature particulière de notre projet ne semble pas avoir inquiété notre institution financière : ni la Caisse ni l’évaluateur de notre projet ne s’en sont en effet formalisés. N’écoutant pas les conseils que nous avions reçu de la part de gens qui sont passés par là avant nous, nous ne leur avons pourtant pas caché que nous souhaitions remonter une maison ancestrale en pièce sur pièce. C’est plutôt une subtilité d’ordre financière qui a menacé notre projet jusqu’au tout dernier instant.

Les Caisses Desjardins ont la réputation d’être plus ouvertes aux projets d’autoconstruction que les banques. Quand nous lui avons expliqué la nature de notre projet, notre beau-frère, qui travaille pour la Banque Laurentienne, nous a d’ailleurs confirmé que jamais cette dernière ne le financerait. Deux couples d’amis ayant vécu l’aventure de l’autoconstruction avant nous ont par ailleurs fait affaire avec Desjardins. Nous étions tellement convaincus que seule cette institution pourrait nous aider que ce fut la seule porte à laquelle nous avons d’abord cru bon cogner.

C’est en février que nous sommes donc débarqués dans le bureau de K., la plus rayonnante des conseillères financières du monde! K. est une Sénégalaise enthousiaste qui éclate de rire à tous les instants, pour un oui ou pour un non, et auprès de qui qui tout semble possible. Nous sommes sortis de cette rencontre ravis et convaincus que le chemin serait beaucoup plus facile que nous ne l’avions d’abord cru, une pré-autorisation à la main. Nous avions le cœur léger. Il ne nous restait plus qu’à soumettre notre dossier pour analyse (une formalité, selon K.) et qu’à négocier notre taux hypothécaire. Pour tout ça, K. souhaitait nous revoir une semaine ou deux avant le début des travaux, prévu pour la mi-juin.

À ma sortie de l’hôpital, soit un mois avant le début des travaux, nous avons téléphoné à notre Caisse afin de prendre rendez-vous avec K., avec qui nous n’avions pas communiqué depuis février. Première déception : on nous a annoncé que K. était en arrêt de travail pour une période indéterminée et qu’on allait devoir nous assigner un autre conseiller. Aussitôt que nous avons mis les pieds dans son bureau, il était clair que Monsieur B. n’arrivait pas à la cheville de notre chère K. Ce dernier venait tout juste de terminer sa formation avec Desjardins ; de toute évidence, il ne connaissait que peu de choses aux prêts hypothécaires en général et à peu près rien du tout à l’autoconstruction. Nous le bombardions de questions qu’il s’empressait de noter sur un bout de papier avant de sortir consulter une collègue. Il n’a jamais su trouver la réponse à certaines questions essentielles et, contre toute attente, contredisait toutes les belles promesses que K. nous avait fait plus tôt en février. Du jour au lendemain, nous nous sommes mis à douter de la faisabilité de notre projet! Dans ces conditions, nous n’étions plus certains de pouvoir le mener à terme.

Les trois nouvelles qui nous ont le plus sonnés sont celles-ci :

a) Tandis que K. nous avait dit que nous disposerions d’un an pour terminer les travaux, Monsieur B. ne nous en offrait que six. Et il insistait sur le fait que ce délai était non négociable.

b) Monsieur B. nous a annoncé qu’il nous faudrait fournir une soumission pour absolument tout ce qui figurait sur notre devis ; la moindre dépense, du rouleau de «tape» à 5$ jusqu’à notre revêtement de toiture, devait être justifiée. Nous étions ébahis puisque les amis qui ont fait affaire avec Desjardins n’avaient pas eu à être si précis. C’était en se fiant à leur devis que nous avions préparé le nôtre qui soudainement, semblait ridiculement incomplet. Le problème, c’est que nous étions très serrés dans le temps : nous souhaitions commencer les travaux dans un mois et nous savions que la banque avait besoin d’environ une semaine pour analyser notre dossier, ce qui nous laissait un peu moins de trois semaines pour aller chercher toutes les soumissions manquantes. Or, nous savions que le centre de rénovation avec lequel nous voulions faire affaire était débordé : on nous avait annoncé un délai de trois semaines pour émettre une nouvelle soumission. Et puis, il y avait tous les autres joueurs à recontacter! La charge de travail nous paraissait tellement grande! Alors que nous croyions avoir terminé notre travail, nous comprenions qu’il ne faisait que commencer.

c) Tandis que K. nous avait expliqué que nous pouvions (et devions!) prévoir un certain pourcentage pour les imprévus afin d’éviter les dépassements de coûts, Monsieur B. nous annonçait un tout autre scénario. On devait lui fournir l’ensemble de nos soumissions ; le total serait le montant qui nous serait prêté. Dans un tel cas, tout dépassement de coûts serait catastrophique puisqu’il nous serait financé par la Caisse en fonction des taux d’intérêt exorbitants des prêts personnels! Comment pouvions-nous prévoir le coût total de notre projet à la cenne près? Même les contracteurs d’expérience ne peuvent y arriver!

Heureusement, nous avions un plan B. Nous avons pris rendez-vous à la Banque Nationale, où Georges a un compte depuis des années, afin de vérifier si notre projet pouvait y être financé. Quelques semaines auparavant, Georges avait pris rendez-vous auprès de sa conseillère afin de faire augmenter sa marge de crédit en prévision de notre projet. Il nous faudra en effet assumer les frais de la construction jusqu’à ce que notre institution bancaire nous les rembourse ; pour ce faire, à défaut d’avoir plusieurs dizaines de milliers de dollars en liquidités, il faut une bonne marge de crédit. Entre les différents déboursés, qui sont généralement au nombre de quatre (on en prévoit sept pour notre part), il faut être en mesure de payer de grosses sommes. Dans les deux premières semaines des travaux seulement, c’est plus de 60 000$ qu’il faudra avancer! À l’occasion de ce rendez-vous, donc, nous avons appris – ô surprise! – que la Banque Nationale finançait elle aussi les projets d’autoconstruction. Nous avons donc pris rendez-vous avec eux.

À un très important détail près, tout semblait plus intéressant du côté de la Banque. C’était presque magique! Elle nous offrait :
a) Un an pour terminer les travaux
b) Un taux d’intérêt beaucoup plus avantageux

c) Le remboursement des frais liés aux quatre premières inspections précédant les déboursés

d) La possibilité de remettre un dossier moins étoffé (et donc, dans notre cas, de gagner du temps)
e) La possibilité d’ajuster le montant définitif du prêt à la somme des dépenses réelles liées au projet à la fin de celui-ci
Pourquoi donc avons-nous hésité à signer avec eux? Parce que la Banque Nationale exigeait que nous fournissions, en plus du 20% de mise de fonds habituels, la preuve que nous disposions d’un 20% de liquidités supplémentaires. 20%!!!! C’était d’autant plus exorbitant que ce 20% serait calculé sur la valeur de la maison estimée par l’évaluateur et non pas sur le montant du prêt demandé. Or comme nous allons sauver une petite fortune en main d’œuvre (c’est bien le but de l’autoconstruction!) et que nous possédons déjà le terrain sur lequel nous nous construisons, la différence entre ces deux montants est énorme : on parle de plus de 75 000$! C’est donc un peu plus de 50 000$ que nous devions avoir en liquidités. Comme nous n’avions évidemment pas ça dans notre compte, deux options s’offraient à nous : nous pouvions demander à un membre de notre famille de signer un formulaire de don pour ce montant ou faire affaire avec la SCHL. Comme le premier scénario n’était pas envisageable et que le deuxième nous déplaisait, nous avons décidé de faire affaire avec Desjardins malgré tout, d’autant plus que nous continuions de croire que cette institution serait plus souple que la Banque au moment de l’analyse du dossier. Il faut par ailleurs savoir que Desjardins n’exige que 10% de liquidités, ce qui fait une différence énorme. On peut par ailleurs aisément contourner le problème si notre ATD («amortissement total de la dette» ou ratio d’endettement) est bas. Si la Caisse estime que nous serions toujours en mesure d’assumer nos paiements mensuels si on devait ajouter à la valeur totale de nos dettes la somme que représente ce 10% de liquidités, c’est dans la poche! C’est le chemin que nous avons emprunté.

Nous avons donc décidé d’aller de l’avant avec Desjardins. Nous avons demandé de rencontrer un autre conseiller, plus expérimenté que Monsieur B., ce qui nous a été accordé. Nous avons cependant du attendre deux semaines avant d’obtenir ce rendez-vous. Le délai nous inquiétait considérablement mais nous n’avions plus trop le choix. N. est une conseillère bien sympathique qui a travaillé très fort pour nous… heureusement! C’est elle qui nous a appris que les règles de Desjardins en ce qui concerne l’autoconstruction avaient été resserrées depuis février et qu’il était fort possible qu’elles le soient encore dans l’avenir. Cette information nous a permis de comprendre pourquoi les belles promesses de K. et l’expérience que nos amis avaient vécue avec eux n’avaient rien à voir avec ce que Monsieur B. nous avait expliqué. Aux autoconstructeurs du futur, je dis : courage!

Deux ou trois jours après avoir rencontrée N., nous lui avons remis notre dossier complet, comprenant un devis fort détaillé, la totalité de nos soumissions et les plans de notre maison. Nous attendions désormais deux réponses : celle de l’évaluateur qui allait attribuer une valeur à notre projet et celle de la Caisse qui devait confirmer sa volonté de nous financer. N. estimait que nous aurions ces deux réponses dans une semaine, au plus tard. Pour nous laisser un peu de lousse, nous avons reporté le début des travaux au 25 juin, soit près de deux semaines après la date butoir annoncée par notre conseillère. Finalement, c’est trois semaines qu’il nous aura fallu attendre! Le suspense a failli nous achever!

Il y a eu plusieurs rebondissements dont je vous épargne ici le détail. À chaque jour, on se disait : ça y est, c’est fichu… puis le miracle arrivait! Nous avions l’impression de vivre une course à obstacles sans fin. Je vous raconte néanmoins le plus important des défis que nous avons rencontré, celui qui a failli tout faire basculer. Entre les mois de février, durant lequel nous avions obtenu notre pré-autorisation, et le mois de juin, notre niveau de risque était passé de modéré (5) à élevé (7). J’ignore de quelle façon se calcule ce risque mais je n’ai pas du tout l’impression qu’il le quantifie adéquatement. Dans notre cas, deux trucs inquiétaient principalement la Caisse :
a) En prévision de la construction, Georges avait fait augmenter sa marge ainsi que sa limite de crédit sur sa carte principale. Nous n’étions pas plus endettés qu’en février mais soudainement la Caisse estimait que si nous devions remplir cette marge et cette carte, il était possible que nous ne puissions plus faire nos paiements mensuels. Nous avions tous les deux un score de crédit à tout casser mais cela ne suffisait pas à les rassurer.
b) La Banque Nationale, vers laquelle nous nous étions tournés pendant un instant, avait fait une enquête de crédit lors de notre premier rendez-vous. La Caisse a alors cru que nous y avions été refusés et que c’était pour cette raison que nous retournions vers eux. Desjardins ne souhaitait pas jouer les bouche-trous! Ce n’était évidemment aucunement le cas et il a fallu en faire la preuve.

Après la première semaine d’attente, notre dossier soi-disant complexe a donc été soumis à la Fédération des Caisses. On nous annonçait un délai supplémentaire de deux à cinq jours. Ouf! Nous étions encore dans les temps. Il nous restait une semaine et demi avant le début des travaux! Par ailleurs, nous savions que nous pouvions tout annuler à 24 heures d’avis, ce qui nous rassurait grandement. C’est finalement un peu plus de deux semaines qu’il nous a fallu attendre. À chaque jour, ou presque, N. nous promettait une réponse pour le lendemain mais celle-ci ne venait jamais. La Fédération exigeait sans cesse des documents supplémentaires pour compléter l’analyse de notre dossier!

La veille du jour où les travaux devaient commencer, notre excavateur nous a contacté pour nous lancer un ultimatum : si nous ne lui donnions pas le feu vert pour le lendemain, il ne pourrait pas venir avant deux semaines. Pour nous, c’était la catastrophe! Deux semaines, sur les six mois de congé de Georges, c’est énorme! Pas ailleurs, tous les travaux subséquents auraient du être reportés… or il était impossible de prévoir si tous les intervenants impliqués dans ceux-ci auraient alors été disponibles. Ç’aurait été un sacré bordel! C’était d’autant plus déstabilisant que jusqu’à ce jour, notre excavateur s’était montré très souple, nous assurant qu’il pouvait attendre la réponse de la Caisse puis débuter les travaux le lendemain.

Cet ultimatum nous a été lancé à 21 heures alors que nous nous apprêtions à nous mettre au lit. Nous avions jusqu’à 7 heures, le lendemain, pour lui donner une réponse. Vertige! Après avoir pesé les pour et les contre, nous avons finalement décidé d’aller de l’avant. Si jamais la Caisse ne nous avait pas financés, nous aurions alors dépensé environ 5000$ pour des travaux d’excavation qui n’auraient servi à rien. Il nous restait un plan B (signer avec la Banque Nationale et transiger avec la SCHL) mais il n’était pas garanti. Et si la Banque Nationale nous tournait également le dos après nous avoir pré-autorisé? Nous avions la peur au ventre. Jamais je n’ai connu Georges aussi dépité.

Jeudi, la réponse tant attendue est enfin arrivée : oui, Desjardins souhaitaient nous financer! Mais, considérant notre niveau de risque «élevé», ils ne pouvaient financer que 75% de notre projet et non pas 80% comme prévu. En bref, nous avions la fin de semaine pour trouver près de 15 000$! Ce n’était pas qu’un petit bémol! Il fallait absolument qu’un membre de notre famille signe un formulaire de don et dépose ces quelques milliers de dollars dans notre compte dans les 48 heures. Hum! Contre toute attente, la Caisse s’est finalement ravisée le lendemain et a accepté de nous financer 80% de notre projet sans trop nous dire ce qui les avait fait changer d’avis. Vous comprendrez donc pourquoi nous étions si excités de signer avec eux mercredi! Enfin, ils ne pourraient plus changer d’idée! Évidemment, nous n’avions plus du tout les moyens de négocier… nous avons donc obtenu un taux hypothécaire correct, sans plus. Mais ON A UN PRÊT!!!!! Tralalilalère!

Ah oui, au fait, nous avons trouvé le moyen de contourner deux règles de Desjardins. C'est notre conseillère qui nous a soufflé ses trucs à l'oreille.

D'abord bien que la Caisse ne nous accorde que six mois pour construire notre maison, il n'existe aucune pénalité pour ceux qui auraient besoin de davantage de temps. En bref, bien qu'on nous ait demandé de terminer les travaux à l'intérieur de six mois, on nous a clairement fait comprendre que nous pouvions bien prendre un an pour le faire et que personne ne dirait quoi que ce soit. Je crains cependant que cette façon de faire risque de changer dans les mois ou les années à venir... Nous en profiterons donc pendant qu'il en est encore temps!

Enfin, pour éviter de devoir demander un prêt personnel si jamais nous étions confrontés à un dépassement de coûts, nous avons demandé un prêt supérieur à ce que nous souhaitons réellement emprunter. Pour ce faire, il nous a suffi de fournir des soumissions pour des matériaux plus luxueux que ceux que nous pensons effectivement utiliser. Trois soumissions «truquées» ont suffi à faire augmenter notre devis de 10% environ, soit le pourcentage de marge de manœuvre que l'on conseille généralement aux autoconstructeurs de prévoir. Puisque nous avons la possibilité de rembourser jusqu'à 15% de notre prêt hypothécaire sans pénalité par année, nous pourrons donc rembourser la différence entre le prêt demandé et le total des dépenses encourues dès la fin des travaux.

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